RFI : C’est une fois de plus la Céni qui a été prise pour cible par les manifestants. Que lui reproche l'opposition ?
Vincent Foucher : Il y a une série de critiques et de soupçons qui a été formulée sur toute une série d’aspects du processus électoral. Il y a eu une avancée importante en septembre dernier lorsque le président a accepté le principe d’une refonte de la Céni. Une loi a été votée à cet effet et une nouvelle Commission électorale a été créée, même si cela s’est passé sans débat. Il y a eu une très vive controverse sur la composition de la Céni, la représentation de l’opposition etc… Mais finalement, il y a une nouvelle Céni qui est en place et c’est une avancée appréciable même si elle est maintenant très contestée. Son nouveau président Bakary Fofana a été attaqué assez vivement à plusieurs reprises déjà par l’opposition.
Mais le vrai problème du moment, c’est le fichier électoral et plus précisément les conditions de sa révision. C’est le fichier électoral qui avait servi pour élections présidentielles de 2010 et qui posait un certain nombre de problèmes qui vont aussi être mis à jour, mais on est quand même trois ans après. Donc il y a un débat très vif sur comment réviser, quelle entreprise doit le faire ?
Et notamment l’opérateur sud-africain Waymark qui est mis en cause par les manifestants lundi ?
Tout à fait. Le régime a sélectionné un nouvel opérateur, a changé d’opérateur –c’était l'entreprise française Sagem qui avait aidé à la mise en place du fichier précédent. C’est un des aspects du débat.
Il y a aussi la possibilité pour les Guinéens de l’étranger de voter ?
Tout à fait. Le fichier est le problème du moment, mais il y a toute une série d’autres points. Et une des questions qui a déjà été posée par l’opposition, c’est la question du vote des Guinéens à l’étranger puisqu’il est théoriquement prévu par la loi électorale, puisqu’il a été possible lors de la présidentielle. Et semble-t-il dans le dispositif tel qu’il est prévu actuellement, le vote des Guinéens à l’étranger ne sera pas possible. Evidemment, cela a une dimension politique très importante puisque le vote des Guinéens à l’étranger est très orienté en faveur en particulier d’un parti de l’opposition, l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG).
L’opposition dit carrément que le pouvoir n’a pas envie d’aller aux élections ? Est-ce que vous pensez que c’est vrai ?
Tout le monde est à peu près d’accord pour dire qu’au début, à sa prise de fonction en décembre 2010, Alpha Condé n’était pas forcément très pressé d’aller aux élections parce qu’au fond il avait remporté une victoire assez difficile. Au premier tour de l’élection présidentielle, il avait eu 18% des voix avec beaucoup de problèmes sur le vote et donc il avait en fait probablement plus mais il était quand même sorti d’une lutte assez difficile, une victoire presque minoritaire. Et au fond, on l’a vu au cours des deux années passées, essayer de consolider sa majorité. Il a transformé son parti en un parti plus large, en rassemblant toute une série de petits partis qu’il avait soutenus à différents moments. On a donc tout un travail politique et on comprend bien qu’au début, il a voulu prendre le temps d’essayer d’avoir des résultats, de consolider son parti, de consolider son contrôle sur l’Etat.
D’avoir plus de chance d’être majoritaire à l’Assemblée ?
Tout à fait. Un certain nombre de personnes considèrent qu’à partir de l’été 2012, le président Condé a quand même changé de position et a commencé à vouloir aller à l’élection. L’opposition dit, effectivement parce que maintenant il a en place le levier pour bricoler le processus électoral, au fond il est prêt à l’élection. Il y a encore des segments d’opposition qui disent qu'il n’est pas du tout prêt à l’élection parce qu’il sait qu’au fond comme le vote à Conakry se fait quand même beaucoup sur une base communautaire, et il aura en fait le même problème, la même fragilité en 2012 qu’en 2010.
Les accusations sont complètement réciproques. Du côté du pouvoir, on dit que c’est l’opposition qui a peur de perdre ?
Tout à fait, les accusations sont totalement symétriques. Même si du côté du pouvoir, on dit ça plutôt d’un ensemble de petits partis ou partis intermédiaires dans l’opposition. Et on n’accuse pas trop l’UFDG, le grand parti qui est très enraciné dans la communauté peule. Au fond dans toutes ces version très différentes dans ce qui est en train de se passer, ce qui nous frappe nous en tant qu’analyse, c’est le degré de méfiance et la virulence des attaques qui sont faites par les uns les autres, par la gravité des accusations qui sont formulées.
Et pourtant à l’issue des élections de 2010, l’opposition avait reconnu la victoire d’Alpha Condé. On pouvait s’imaginer qu’il y aurait là au moins les germes d’une réconciliation nationale avec un processus électoral qui ne s’était pas complètement bien passé, mais qui était quand même allé jusqu’au bout. Là on a l’impression que la réconciliation nationale est un peu en panne ?
L’opposition avait officiellement reconnu le résultat des élections, mais quand on parle officieusement à toute une série d’acteurs politiques d’opposition à Conakry, en réalité il ne croit toujours pas à la victoire d’Alpha Condé en 2010 et évidement c’est une base assez mauvaise pour engager des interactions entre un pouvoir et l’opposition. Il y a un processus officiel de réconciliation qui est initié mais il a avancé extrêmement lentement et puis, compte tenu de l’état de tension dans la vie politique, ce type de processus est un petit peu en décalage. On a un pouvoir qui a défendu très haut, qui a mis une pression sur les mobilisations politiques de l’opposition, sur les manifestations, il y a eu beaucoup d’arrestations et de condamnations même si ensuite assez vite, on a libéré les gens. On a quand même des tensions élevées.
Vous craignez quoi finalement ? Des violences si jamais il y a des élections dans l’état actuel des choses ?
Du côté de l’opposition, on est visiblement assez proche du point de rupture. On a relancé les manifestations lundi. Il y en a une nouvelle qui est annoncée pour le 27. D’après ce que j’ai compris, il y a des discussions du côté de l’opposition sur un retrait pur et simple du processus électoral.
Par ailleurs, plus on va à l’élection avec toutes ces controverses dans ce genre de situation, on risque fort de créer à travers le pays un millier de petits conflits, un millier de petits soupçons, un millier de petites rumeurs, qui très vite peuvent dégénérer, peuvent remonter, peuvent susciter des tensions. Et on fait cela, dans un pays dans lequel, il y a une dimension clairement ethnique ou politique d’une part et puis d’autre part, on est dans un pays où les forces de sécurité ont une habitude de l’impunité assez ancrée. Le pouvoir fait des efforts en ce moment sur un certain nombre de dossiers pour essayer de changer cette manière de faire. N’empêche qu’il y a encore eu, y compris en 2012, des incidents extrêmement violents entre les forces de l’ordre et population civile à travers le pays.
On est quand même dans une situation là aussi compliquée. Par ailleurs, cette armée qui se comporte mal avec les civils, c’est une armée qui a été au pouvoir pendant la transition et qui a eu une très grande influence dans ces dernières années du général Conté, une armée où il y a probablement des gens qui ont la nostalgie de cette époque. Et des troubles civils importants on peut tout à fait imaginer que cela rouvre la voix à des putschistes qui disent, vous les hommes politiques vous n’avez pas bien su gérer la démocratie, nous on va régler cela et on va stabiliser la situation. Il y a beaucoup d’efforts internationaux qui sont faits pour rapprocher les points de vue, pour essayer de proposer des solutions. Jusqu’à présent, cela n’a pas marché.