Voilà, maintenant, que le soleil a surpris les sorciers dans la plaine. Le festin secret n’est pas fini. On se disputait l’os avant d’avoir consommé la viande le recouvrant. De l’étonnement, ils passent à l’acceptation, puis à la recherche de l’ombre protectrice. La plaine est déserte !
Ce n’est jamais de gaîté de cœur que l’on accepte un chef, ou un groupe d’individus, qui s’impose par la force, qu’elle se soit imposée en douceur ou par la violence qu’elle incarne. Les problèmes semblent se résoudre dans l’immédiat. En réalité, ils demeurent en état latent des années durant pour rebondir. C’est la dynamique infernale de la prise du pouvoir en Guinée. Elle restera incontrôlable tant que la Constitution nationale ne sera pas le reflet de nos préoccupations et tant que les institutions qui en résultent ne bénéficieront pas du respect qui les transforme en mode de vie. Des interrogations et des réponses.
De quoi résulte la prise de pouvoir par l’armée le 23 décembre 2008 ? Visiblement de la prise de pouvoir par l’armée, le 3 avril 1984. Il fut aussi accepté par acclamation et par reconnaissance.
Pourquoi l’Armée a-t-elle intervenu à la mort du président Ahmed Sékou Touré ? Parce que le Bureau politique national (BPN) du moment a perdu du temps en discussion à propos de la succession ? Qu’y a t-il eu en ce moment qui mettait le pays et la nation en péril ? Rien.
Ce fut une opportunité pour une armée spoliée de ses droits et devoirs (au profit de la Milice populaire) de prendre une revanche sur le pouvoir et les populations qui l’ont soutenu en cela. En fait, la raison primordiale de la dissension, et celle qui se doit d’être enseignée à la génération future, c’est le non respect de la Constitution nationale qui stipulait, en cas de vacance du pouvoir, que le Premier ministre occupe la fonction du président de la République. Ce fut l’empêchement premier !
Que s’est –il passé le 23 décembre 2008 ? Le premier président de la Cour suprême de Guinée, Maître Sidimé a refusé de constater, à temps, la vacance de pouvoir après le décès du président de la République. Cette fois la Constitution, la Loi fondamentale disait que le président de l’Assemblée nationale assume la fonction de président de la République pour organiser en 60 jours l’élection pour choisir un nouveau président. Le second empêchement.
Comparé à la dizaine de jours de discussion du BPN, le pays et la nation n’étaient pas en danger pour être la victime d’un coup d’État. Là encore, il y a eu une opportunité offerte à l’armée spoliée de ses droits et devoirs par ses grands officiers de prendre une revanche sur eux et sur la classe politique qui s’est rallié au pouvoir au sein d’un gouvernement de coalition. Temporairement ou non, qu’importe. Le fait est évident.
Dans les deux cas de coup de force, les populations sont associées dans un souci de légitimation de l’acte. Dans les deux cas, l’on doit tenir compte non pas du dernier évènement indexé mais de l’enchaînement des faits et des évènements allant dans le même sens des activités hors-la-loi, des années durant. Le coup d’État n’est jamais spontané, il est le résultat d’un état d’esprit formé contre ce qu’on croit injuste, illégitime, illégal et inacceptable. Il est l’antithèse de ce que les tenants du pouvoir ont fait. Selon les paramètres en balance, il peut être approuvé ou pas.
Il est inutile et complexe de vouloir mettre en exergue tous les ingrédients qui ont abouti à la prise du pouvoir par les jeunes militaires dès le lendemain du décès du président Lansana Conté, commandant en chef des forces armées guinéennes. Le coup d’État logique aurait dû être l’usage de la force militaire afin de préserver le régime du Général défunt. C’était impossible, à la lumière de faits suivants :
- Le coup d’État manqué (4-5 juillet 1985) du Colonel Diarra Traoré premier, Premier ministre du CMRN après le 3 avril. Il y a eu comme conséquence, une division ethnocentrique au sein des populations et de l’armée. (Lire : Guinée- Chronique d’une Démocratie annoncée).
- le tour de passe-passe juridique du président de la Cour suprême, Maître Lamine Sidimé, en 1993. Il a permis au Général Lansana Conté de prendre un congé temporaire de l’armée, être candidat aux élections présidentielles, puis redevenir militaire après les élections.
- l’arrivée de Facinet Touré sur la scène politique après sa retraite de l’armée et sa déclaration d’avoir été « chassé comme un malpropre du gouvernement » est une brèche dans la carapace du pouvoir militaire, l’exemple d’une division au sein de l’armée.
- L’exécution (6 mai 1987) des anciens dignitaires du régime de Sékou Touré. Elle pose l’acte de non respect des Droits de l’homme et donne les accents de dictature de la 1re République à la 2ème République que confirme la révision constitutionnelle plus tard.
- L’irruption du COSALAC (Comité de soutien à Lansana Conté) aux couleurs ethnocentriques avec la légalisation des partis politiques sur la scène politique pour faire élire le Général Lansana Conté sous la bannière du Pup, le parti qui soutient les actions du gouvernement.
- Le non respect des droits politiques des partis politiques : loi anti manifestation et répression causant des morts et des blessés, arrestations arbitraires des opposants, refus des paramètres de transparence des élections et fraudes, subordination de la Cour suprême et de l’Assemblée nationale à l’exécutif.
- Les 2–3 février 1996, manifestation armée des militaires sous le label des revendications salariales. En réalité, les revendications touchaient à la restructuration de l’armée en termes de mise à la retraite des vieux militaires pour permettre aux jeunes militaires d’évoluer en grade, le paiement des pensions destinées aux soldats morts sous l’Ecomog au cours des guerres civiles du Libéria et de la Sierra Léone, etc. L’épilogue fut une purge militaire sans précédent faite par le pouvoir.
- La révision constitutionnelle (11 novembre 2003). Non seulement, elle rallonge le mandat présidentiel mais aussi l’âge des candidats pour permettre au Général Lansana Conté, président de la République sortant, de se succéder à lui-même.
- Les grèves générales suivies de manifestations populaires qui débutent le 10 janvier 2007. Elles remettent en cause l’ensemble du système de gestion du gouvernement et du président de la République. La répression du mouvement fait des centaines de morts et de blessés. Mais tout se termine par la signature d’un protocole d’accord tripartite (Syndicat-Société civile-président de la République) qui met le président de la République dans l’obligation de choisir un Premier ministre sur proposition et la mise en œuvre d’une lettre de mission pour la relance économique et l’apaisement politique.
- Les protestations militaires du 2 – 12 mai 2008.
- Le 21 mai 2008, le bris unilatéral du protocole d’accord tripartite par le président Lansana Conté qui révoque le Premier ministre nommé sur proposition à partir du protocole tripartite, et déclare une réappropriation de ses droits constitutionnels de chef de l’État et du gouvernement. Il s’ensuit un affaiblissement considérable de l’impact des manifestations qui ont commencé le 10 janvier. Les syndicats, la société civile et les partis politiques acceptent de participer à un gouvernement dit de consensus. Ceci marque la pleine reconquête des pouvoirs du Général Lansana Conté, malgré les luttes pour sa succession autour de lui, jusqu’à sa mort le 22 décembre 2008 (paix à son âme).
Ce résumé, succinct, de l’histoire récente du pays ne délivre pas de tickets de Démocratie à la Guinée et à ses hommes politiques et leaders d’opinion. Une forte odeur de corruption matérielle, financière et institutionnelle règne sur les derniers évènements.
Enfin, il convient de noter un autre fait significatif à l’actif du président de la Cour suprême, Maître Lamine Sidimé. Contre le bien-être de plus de 8 millions d’habitants, il a choisi, malgré la longue maladie du défunt président, de ne jamais permettre un recours à la destitution constitutionnelle. C’est sa façon de rentrer dans l’histoire en imitant l’amitié que l’histoire rapporte entre l’Almamy Samory Touré et Moryfindiang Diabaté. Ce dernier (en 1898) l’a suivi en exil au Gabon et a creusé sa tombe à côté de celui de l’ancien empereur du Wassoulou. L’ami fidèle à l’empereur n’a pas en l’occurrence mis en jeu la vie de populations entière. Seulement la sienne.
L’attitude du président de la Cour suprême a ouvert la voie à toutes les intrigues qui ont contribué à affaiblir l’autorité de l’État. Les dauphins se sont succédé sans assises, les clans ont éclaté. Pour des intérêts personnels les prétendus dauphins et apologètes militants des clans se sont préparés aux chaos, au mépris des institutions nationales et des lois qui protègent les populations, en rembourrant leurs comptes en banques à l’extérieur.
Dans le tumulte et la tourmente de la quête du pouvoir nul n’a songé à utiliser un seul article de loi ou un seul règlement émanant d’aucune des institutions. Sont-elles vides de contenus ? En agissant ainsi, ils n’ont pas pensé qu’ils organisaient un chaos constitutionnel et institutionnel qui interpellerait un coup de force. Leur comportement ne le légalise pas mais il le rend légitime et sauve leurs vies avant qu’ils se détruisent l’un et l’autre. Que cela soit écrit et compris.
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