LA LANCE: Que dites-vous des résultats du premier tour du scrutin du 27 juin ?
Sidya Touré : Je vous remercie de venir me voir parce que la semaine dernière, les articles que j'ai vus dans votre journal m'ont paru extrêmement déséquilibrés. Nous avons été à des élections le 27 juin dans des conditions que tout le monde connaît. Des élections mal préparées, mal bouclées. Quand on disait: Prenons le temps de mieux examiner cela, on vous rétorquait: Il n'est pas prêt, il n'a pas de représentations . On a eu l'impression que tout s'est déroulé plus ou moins correctement jusqu'au jour du vote pour s'apercevoir qu'il y avait énormément de fraudes, énormément de bulletins nuls. Les bulletins nuls devraient être le deuxième candidat à ses élections-là. Si je rapproche les chiffres qu'on m'a communiqués, nous sommes aux alentours de 611 000 bulletins nuls. Ce qui me paraît inimaginable dans une élection de ce genre. Il y a des endroits où l'on n'a pas eu de bureaux de vote. Nous avons des îles aux larges de Boké où les gens n'ont pas voté parce que la CENI était absente. La représentativité de la CENI à l'intérieur a été totalement absente et les partis politiques se sont accaparés du processus électoral. Chacun a eu à faire d'eux ce qu'il a voulu. Les résultats ont été extrêmement viciés. Nous avons observé que nous étions en seconde position au décompte de la Ceni jusqu'à un certain moment. A la fin, nous avons trouvé que tout ce qui avait été mis de côté comme procès verbal inacceptable a été remis dans le décompte pour nous battre en troisième position. Nous avons dénoncé cela et c'est une chose totalement naturelle dans la mesure où les élections sont le plus souvent contestées en Afrique, surtout lorsqu'il n'y a pas eu de violences, il n'y a pas eu de casses, il n'y a pas eu de morts d'hommes.
Le 2 juillet, les militants de l'UFR sont descendus dans la rue pour crier à la fraude électorale. Ils ont agi ainsi sous votre impulsion ?
La commune la plus peuplée, celle de Matoto, aurait eu un taux de participation de 30 et quelques pour cent. Dans tout Conakry, nous avons eu un taux de participation de l'ordre de 77%. Pourquoi ? Parce que tout simplement des urnes avaient disparu. Ce sont les femmes de ces communes-là qui, de jour en jour, notamment les jours qui ont suivi les élections et les résultats, ont trouvé des urnes partout. Et chaque fois qu'on trouvait dans ces urnes-là des bulletins, c'était en majorité des bulletins UFR. Les femmes ont voulu protester. Je n'ai même pas été averti de cela, je l'ai su tard la nuit, la veille de cette manifestation. J'avais demandé pourquoi les femmes mettent des foulards rouges puisque ce n'est pas la couleur du parti. Elles ont dit que c'était leur forme de protestation et que de toute façon, on n'avait rien à voir avec cela. Nous n'avons pas organisé cela au niveau des structures du Parti. Nous étions en train de réfléchir déjà à la formule selon laquelle nous pouvons aller devant la Cour suprême pour déposer un recours. Elles sont sorties pour manifester leur désaccord. Je dirai même quelque peu leur, désarroi. Je ne pense pas que cela soit un fait exceptionnel en Guinée. Maintenant qu'il y a eu des dérapages verbaux lors de ces manifestations, c'est regrettable ! Mais, il ne faut quand même pas oublier que des manifestations en Guinée ont souvent débouché sur des casses et des morts d'hommes. Donc, ce n'est pas la manifestation la plus déstabilisatrice qu'on a connue en Guinée.
Mais, l'opinion retient que ce sont des militants de l'UFR qui ont proféré des injures à l'endroit du Général Sékouba Konaté, Président de la transition.
Franchement, ce lynchage médiatique est déshonorant pour notre pays. Ce comportement est inadmissible, je l'ai dit à la société civile et à certains responsables syndicaux qui ont mené des grèves et des manifestations avec nous, qui, je le dis encore, ont débouché sur des morts d'hommes. Comment peut-on imaginer que nous aurons pu envoyer des femmes, juste pour aller insulter quelqu'un. A quoi cela sert-il ? Nous n'avons strictement rien à voir avec ce côté du problème. Mais, encore une fois, la réalité est que toutes les élections en Afrique débouchent sur des manifestations, des désaccords. Je ne comprends pas pourquoi tout d'un coup l'UFR est désigné comme étant le mouton noir de la Transition, si ce n'est pas quelque chose qu'on est en train d'orchestrer pour essayer de pointer du doigt nos militants et nos adhérants. Les Partis les plus violents ici lors des élections qui se sont passées, vous ne compterez pas l'UFR parmi eux. Je ne vois pas pourquoi il y a un tel lynchage, une organisation qui tend à faire croire que c'est nous qui ne voulons pas que la transition soit menée à son terme. Nous récusons tout cela du revers de la main et nous continuons tranquillement notre chemin en ayant déposé un recours à la Cour suprême.
Il semble aussi que c'est le Général Konaté qui a payé votre caution à la présidentielle. Il aurait financé aussi la campagne de votre parti.
Chacun peut dire ce qu'il veut. Moi, je suis un Parti organisé. J'ai de très bonnes relations avec le Président Konaté. Je n'ai pas souvenance qu'il m'ait donné personnellement de l'argent. Sinon, mes relations avec le Président de la transition étaient des relations extrêmement sereines. C'est vrai que des hommes d'affaires se recommandant de lui, nous ont apporté de l'aide, tout comme à d'autres leaders politiques.
Certains partis politiques annoncent dans les médias qu'ils ont signés des alliances avec vous pour le deuxième tour. Edifiez-nous là-dessus.
En désaccord avec les résultats, nous sommes à la Cour suprême. Comment voulez-vous que nous soyons en même temps à la Cour suprême et en même temps avoir fini de négocier avec un quelconque parti politique ? C'est de la désinformation pure et dure. Certains partis politiques et certaines personnes sont habitués des faits. Il est bien entendu que les responsables de partis qui ont eu 0 et poussière aux élections qui se réunissent entre eux pour aller dire: Voilà, nous on vous apporte un électorat de je ne sait quelle région, n'ont pas l'autorité nécessaire pour faire cela. Si l'élection n'avait pas eu lieu, je peux comprendre, mais l'élection a eu lieu et ces gens ont compris qu'ils n'avaient aucune espèce de représentativité nulle part en Guinée, même pas dans leur ville d'origine. Comment est-ce qu'ils peuvent être porteurs de voix qu'on ne leur a pas attribuées aux élections. C'est une mauvaise manière d'engager la négociation. Nous n'y sommes pas encore. Après les résultats de la Cour suprême, si notre voix prévaut, nous irons au second tour, si ce n'est pas le cas, nous verrons dans quelle mesure nous entreprendrons ces discussions sur la base de ce que nous avons obtenus aux élections. Cela a un sens. Il ne s'agit pas d'une région, il ne s'agit pas d'un groupe. Cela a été tout le sens de mon combat. Nous avons des militants à l'UFR qui ont voté pour nous, qui ne sont pas d'une seule région.
Nous discuterons à ce que leur intérêt soit préservé et que si l'on doit avoir un nouveau partenaire ou une alliance pour aller à la conquête du pouvoir, ce soit dans des termes très clairs, non des discussions de personne à personne juste pour qu'on vous attribue un poste ministériel.
Ils sont nombreux, ceux qui disent que l'UFR serait l'idéal parce qu'il serait le seul parti qui n'a pas eu des militants sur la base des données ethno-stratégiques par rapport à l'UFDG et le RPG. Quel commentaire en faites-vous?
C'est le sens de notre combat qui était d'éviter que notre pays ne soit divisé sur des stratifications ethno-communautaires. Je crois qu'aujourd'hui, tout le monde est préoccupé, si les choses devaient rester en l'état, de savoir comment est-ce que nous allons terminer ces élections. Ce qui veut dire que l'idée d'unité nationale et de rassemblement que nous avons prônée, le fait que l'UFR soit au-dessus de la mêlée, devrait permettre qu'on ait une situation de tension que nous vivons de jour en jour quand on s'imagine que les résultats pourraient rester en l'état. Mais ça, c'est un choix des Guinéens, et il appartiendra à notre pays de l'assumer.
Est-ce vrai que la Coordination mandingue a rencontré l'UFR pour une éventuelle alliance avec le RPG?
Tout le monde nous a rencontré. Nous avons reçu les délégués de tous les deux partis, que ce soit de l'UFDG ou du RPG. Mais, comme je le dis, nous avons estimé que la démarche est un peu prématurée. Nous aviserons dès qu'on aura les résultats de la Cour suprême. Nous n'allons pas rester inactifs ou aller en ordre dispersé. Il s'agira d'un débat pour un partage du pouvoir, il faut que les choses soient claires.
Que pensez-vous des visites successives à Conakry auprès du Général Sékouba Konaté, de M. Jean Ping, Président de la Commission de l'Union africaine et du Président malien, M. Amadou Toumani Touré, juste après la manifestation de vos militants?
Les deux choses ne sont pas du tout liées. Le Président de l'Union africaine devrait arriver normalement à cette date-là, dans le cadre du Groupe international de contact, pour une visite en Guinée. Mais il est tombé sur un problème qu'il a trouvé en place. Il s'en est saisi pour essayer d'arrondir les angles. J'ai été reçu par M. Ping, le jour où je devais aller à Dakar et au Cap-Vert et revenir rapidement. On a eu un entretien assez bref. Mais je lui ai dépeint la situation et le fait que, tout d'un coup, mon parti commençait à paraître comme un parti d'opposition dans un régime de Transition qui, normalement est neutre. Mais ce qu'on est en train de faire, c'est de stigmatiser l'UFR, et de dire les opposants ce sont eux. Nous, nous sommes avec les autres. Je pense que la Transition n'est pas cela. Donc, nous avons discuté et je pense que le message a été bien compris. Le lendemain, quand j'arrivais, le Président Toumany Touré repartait. Puisqu'on a eu à atterrir vers 17h 45. Lui, il devait décoller quelques minutes après; on n'a pas pu se voir. Mais mon représentant était à cette rencontre et je crois qu'il a été clair. Il a surtout fait comprendre que la Transition devrait continuer, ce que personne n'a jamais contesté ici, et il a fait comprendre également qu'il a eu des difficultés plus importantes, sinon égales pour gérer sa transition. Je crois qu'il a encouragé son jeune frère, le Général Konaté, à continuer la Transition. Nous ne disons pas autre chose.
Certains estiment que votre visite à Dakar était sur invitation du Président Wade. Qu'en est-il exactement?
Sidya Touré: Non, ça n'a strictement rien à voir! Ce sont des amis qui sont au Cap-Vert qui m'ont envoyé leur avion pour aller les voir. J'ai fait escale à Dakar, c'est tout. L'avion qui est venu me chercher à Conakry est venu de Genève. Il n'a rien à voir avec Dakar. C'est le même avion qui m'a ramené à Conakry.
Il y a eu des incidents entre les militants de l'UFDG et les vôtres vers la fin de la campagne présidentielle du premier tour. Cela a donné lieu à beaucoup de commentaires
J'ai dit à mon jeune frère Cellou que cette affaire avait été énormément exagérée. Les choses sont très simples. Le mercredi, c'était le tour de l'UFDG de faire meeting à Coyah et à Forécariah. Le jeudi, c'était le tour de l'UFR de faire la même chose. Les militants de l'UFDG sont restés dans ces deux villes en attendant que certains de leurs militants descendent de l'intérieur et qu'ils puissent faire une rentrée à Conakry. Cela a duré du matin jusqu'à 15h 30. Quand les gens ont vu que les places ne se libéraient pas pour que leur leader vienne faire le meeting, on leur a dit de dégager. Voilà, il n'y avait aucune volonté délibérée pour dire qu'on a chassé ceux-ci, ceux-là, c'était ce problème qui a été créé. Moi-même, j'ai dû rester en dehors de la ville de Coyah jusqu'à 15h 30 pour que ce flot ininterrompu de camions et de cars qui descendaient de Kindia et de Mamou puissent passer et pour que ceux qui occupaient les places publiques à Coyah, dégagent. Ce n'était pas une volonté d'affrontement entre les militants de ceux-ci ou les militants de ceux-là. Ils ne devraient pas être-là. J'ai eu le même problème à Mali où l'UFDG et l'UFR devraient se rencontrer, on nous a dit que ce n'est pas votre jour aujourd'hui. Donc on a changé de direction pour aller à Lélouma.
Quand on raconte aussi qu'il y a eu des morts, ce sont des balivernes. Un policier est mort. Il est tombé d'un véhicule, parce qu'il s'était accroché et qu'il pleuvait, c'est tout. Dire donc que des gens qui ont été tués, ils sont à la morgue, je pense que cela n'est pas honnête. Je crois qu'il faut laisser ce genre de choses, parce que cela crée des tensions inutiles. Dans le cadre de ce que nous avons à gérer aujourd'hui, il faut plutôt chercher à recoller les morceaux, à rassembler les gens, plutôt qu'à victimiser qui que ce soit.
On s'est expliqué sur cette question, je crois que tout le monde a compris qu'il faut aller de l'avant et faire en sorte que la suite de ces élections ne nous amène pas à ce que nous craignons tous, c'est-à-dire les confrontations, qui n'auront rien à voir avec la sortie des femmes de l'UFR en train de chanter dans les rues de Conakry. Veuillons plutôt à cela.
Justement au cours de la manifestation de vos militants et les injures qui y ont été proférées, certains soutiennent que vous vous étiez rendu chez le Président de la Transition pour lui présenter des excuses, d'autres disent tout le contraire. Qu'en est-il exactement?
Les imams et Mgr Gomez sont venus me chercher pour qu'on aille à la Présidence. On y est allé ! Nous nous sommes expliqués sur cette question. Je me suis, moi-même, rapproché de Konaté, une fois hors micro, pour lui dire que ceci était un incident au niveau des femmes, que les partis politiques n'avaient pas pour vocation d'aller insulter qui que ce soit. De là et ce qu'on voit à la télé, ça n'a rien à voir. Nous sommes pour que Konaté finisse la Transition. Nous sommes pour que la Transition soit apaisée, nous sommes pour que la Guinée sorte de cette situation dans les meilleures conditions. Mais, nous sommes pour aussi, pour que liberté soit donnée aux gens de manifester leur mécontentement. Ça, c'est une réalité de la vie publique. Dans une démocratie même naissante, ce droit doit être reconnu. Faire en sorte que les gens soient encadrés pour éviter les débordements. Mais je crois qu'il y a eu beaucoup de choses à l'intérieur de Kaloum qui sont complètement en dehors du contrôle de l'UFR. Ce sont des questions locales qui n'ont rien à voir à ce que le parti peut donner comme instruction. Nous pensons qu'il faut aller de l'avant, passer tout cela et que la Guinée puisse se retrouver enfin pour sortir de la crise. Je crois que si Sékouba Konaté réussissait à faire une Transition propre et tranquille, ça lui permettrait de sortir par la grande porte. Nous ne souhaitons pas mieux.
Propos recueillis
Par Abou Bakr et Mamadou Siré Diallo